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Note sur la gratuité des transports en communs
Intuitivement, nous définissons la gratuité comme la caractéristique d’un échange à sens unique. Mais cette définition est substantielle et ne s’applique pas à tous les processus sociaux. Tout ce qui a un coût de production n’est et ne peut pas être gratuit. La santé, l’éducation, l’eau qu’il faut acheminer ont certes un coût, mais leur caractère non marchand signifie que la cotisation versée par chacun lui donne droit à sa part de bien ou service dont la production est collectivement décidée et organisée. La gratuité des transports en commun est un débat périodique et controversé. Les partisans de la gratuité n’ont de cesse de rappeler sa légitimité puisque la mobilité a trait aux conditions de vie. Toutefois, son efficacité en matière de report modal, de développement durable, d’affluence ou de sécurité est encore discutée.
Etat des lieux :
Un certains nombres de villes ont d’ores et déjà adopté la gratuité des transports en commun. Il s’agit dans l’ensemble de villes de petite ou moyenne taille.
Deux villes pionnières ont adopté la gratuité il y a plus de 30 ans, il s’agit de Colombiers et de Compiègne. Depuis quelques villes se sont lancées à leur tour : Châteauroux (75 000 habitants), Noyon (15 000 habitants), Gap (40 000 habitants), Castres (43 500 habitants), Vitré (63 000 habitants), Mayenne (14 000), Issoudun (14 000 habitants) et plus récemment, la communauté d’agglomération d’Aubagne et de l’Etoile qui regroupe 93 000 habitants.
Par ailleurs, d’autres villes comme Dijon (270 000 habitants) ou Beauvais (55 400 habitants) appliquent une politique de tarifs extrêmement faibles.
Motivations exprimées par les villes ayant mis en place la gratuité :
Les motivations diffèrent selon les villes et les époques. A Compiègne et Colomiers, le contexte sociopolitique était tel que la gratuité avait plutôt des fins sociales.
A Vitré ou Châteauroux où la décision a été plus récente (1995/2000) s’ajoutaient à l’objectif social, les soucis d’un rééquilibrage périphérie/centre et d’une redynamisation du centre-ville. Ces villes avaient aussi pour objectif la rentabilisation de leurs transports en commun qui leur coûtaient très cher pour une faible utilisation.
Les arguments en faveur de la gratuité :
Augmenter la fréquentation :
La gratuité permet d’accroître le trafic des passagers, ce qui permet d’éviter que les bus ne tournent à vide. L’augmentation de la fréquentation permet alors de réduire la circulation aux heures de pointe. Toutefois, Châteauroux a constaté une augmentation de la fréquentation de son réseau de l’ordre de 122%. A Aubagne l’accroissement du trafic journalier serait quant à lui de 64%.
Il faut néanmoins noter que la gratuité empêche l’analyse statistique régulière de la fréquentation.
Lutter contre la dégradation de l’environnement :
Les partisans de la gratuité soutiennent qu’il s’agit d’une mesure de bon sens afin de lutter contre la dégradation de l’environnement. Toutefois, des études montrent que le coût des transports en commun n’est pas réellement le premier frein à leur utilisation. La gratuité seule, sans mesures d’accompagnement en terme de politique de stationnement, de partage de voirie, d’accès au centre-ville ou non par les voitures, ne permet pas un rééquilibrage modal.
Réduire les inégalités sociales :
La gratuité des transports en commun est consubstantielle à une liberté de déplacement. Elle permet de faciliter les déplacements des personnes à bas revenus.
Désenclaver les quartiers les plus fragiles / redynamiser les centres-villes :
La gratuité permet plus de mobilité entre les lieux de résidence, les lieux d’étude, les lieux de travail et de loisir et facilite l’accès à l’hypercentre.
Réduire les coûts externes de l’automobile :
La voiture est un mode de déplacement beaucoup plus coûteux pour la collectivité. L’automobile occasionne des coûts cachés que supporte la collectivité (voirie, parkings, nuisances automobiles, etc.). Elle mobilise 80 à 90% des budgets publics consacrés aux déplacements, les transports publics seulement 10% environ.
La diffusion d’information sur les coûts réels de la voiture permettrait de rendre les TC plus attractifs.
Diminuer le coût global des transports publics collectifs urbains par la suppression des tickets :
La billetterie ne constitue pas forcément une recette importante. Le coût de la fraude, additionné à celui du contrôle, de la vente et de l’impression des tickets sont autant d’éléments qui réduisent la recette de la billetterie. Dans les villes qui ont choisi la gratuité, la part de la billetterie était globalement faible.
Diminuer le climat de violence dû au contrôle
De nombreuses agressions dans les transports en commun sont dues au contrôle. De plus, la suppression des contrôleurs permettrait de mettre en place des emplois plus « utiles » : renseignement, aide aux usagers…
Les freins à la gratuité :
Un effet limité dans le temps :
D’après les experts, « à très court terme, la gratuité des transports en commun peut faire exploser la fréquentation qui diminue ensuite ». Si la gratuité est reconnue pour jouer un rôle dans l’augmentation de la fréquentation des TC, le transfert modal vers le bus resterait pour certains somme toute minime et on observerait en terme de partage modal une certaine inefficacité de cette politique quant à l’usage de la voiture.
Un outil parmi d’autres :
Pour que la gratuité soit réellement efficace, il faudrait qu’elle soit conjuguée à un plan de mobilité ou à une politique de circulation et de stationnement.
L’image négative des transports en commun :
Le report modal est limité notamment car l’image des transports en commun est négative : son usage ne suscite aucun plaisir. Même si le coût de la voiture est supérieur, il s’agit du coût de la liberté.
Le coût : un impact mineur sur l’attractivité TC :
La question de la diminution du coût pour rendre les TC plus attractifs est très controversée : selon certains le prix du mode de transport n’aurait qu’un impact mineur pour autant qu’il ne soit pas prohibitif. Améliorer le confort selon certains inciterait plus à un usage des TC que la gratuité. Il s’agirait aussi plus d’améliorer la fréquence et la vitesse commerciale.
Saturation du réseau :
Les TC gratuits peuvent parfois engendrer une mobilité inutile avec comme conséquence une saturation des bus. La gratuité oblige d’augmenter l’offre, et engendre donc des coûts supplémentaires.
Le financement :
Dans le coût de la gratuité, il faut compter la perte des recettes, mais aussi souvent celui généré par le financement d’infrastructures liées à la fréquentation accrue des TC. Les économies liées à la suppression des coûts afférents à la billetterie (gestion, cartes de transport, contrôle, etc.) sont loin de couvrir la différence. Le financement de la gratuité pose donc souvent problème.
In fine, quelqu’un doit payer et la question est de savoir si le financement doit être assuré par une fiscalité supportée par tous, ou par une participation significative de l’utilisateur.
Différents modes possibles de financement de la gratuité des TC coexistent :
Le financement par la ville :
Le problème est que les non-résidents bénéficient de la gratuité sans la financer. Pour les touristes, passe encore puisqu’ils dépensent sur place, mais le problème se poserait pour les habitants des communes avoisinantes qui viennent travailler ou faire leurs courses dans la commune concernée.
Le financement par la région :
Si les acteurs pilotes de la mise en œuvre de la gratuité dans l’agglomération, ou la ville principale, ont également une influence sur les décisions régionales et jouent un rôle stratégique pour le développement régional, le financement au niveau de la région, semble envisageable.
Le financement par le versement transport :
C’est la solution partielle ou totale retenue par plusieurs villes françaises. Il apparaîtrait que l’augmentation de la fréquentation crée une demande d’amélioration et d’accroissement de l’offre génératrice de coûts supplémentaires. La question de la qualité de l’offre se pose alors si la ville ne souhaite pas aller au-delà de la ressource du Versement Transport porté à son maximum.
Le financement par les automobilistes :
La logique suivie consiste à faire payer ceux qui encombrent la ville, ceux qui la congestionnent au profit de ceux qui utilisent les transports en commun. En terme de coûts sociaux, ces déplacements en transport en commun sont beaucoup moins élevés et il s’agit donc quelque part d’un rééquilibrage, d’une nouvelle répartition de la charge des coûts de la mobilité.
Plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour faire payer les automobilistes : le stationnement, la tarification des infrastructures autoroutières (« road pricing »), etc.
Une alternative à la gratuité : des tarifs très bas
L’apport d’une billetterie liée à un tarif bas mais à une fréquentation accrue permettrait de satisfaire, à un coût économique moindre, l’augmentation des attentes tout en évitant des inconvénients liés à la gratuité.
Un prix bas favorise aussi la fréquentation. Ainsi Genk, qui est passé d’un tarif unitaire de 1€ pour la première zone et 0.40€ par zone supplémentaire à un tarif unique de 0.50€ dans la ville a vu la fréquentation de ses transports urbains passer de 1.2 millions à 1.8 millions pour une ville de 67 000 habitants, soit une augmentation de 50%.
Cette politique facilite le financement des améliorations de l’offre. De plus, elle n’entraîne pas une éventuelle dévalorisation de l’image des transports en commun puisqu’elle conserve à l’usager son statut de « client ».
La gratuité envisagée dans les grandes villes
Il semblerait que la solution de gratuité ne soit pas adéquate pour les grandes villes. Les agglomérations qui pratiquent aujourd’hui la gratuité ont moins de 100 000 habitants.
Au-delà d’un certain seuil, un apport de recettes des clients semblerait indispensable si on veut avoir à la fois qualité de service et fiscalité acceptables.
La gratuité semble intéressante à étudier quand la qualité de service se rapproche de celle d’une solution payante satisfaisante. Pour les « petits réseaux » les montants en jeu sont faibles et le peu d’apport de la billetterie constitue un élément favorable à la mise en place de la gratuité : meilleure sécurité pour les chauffeurs, accélération de la vitesse commerciale, libre disposition du bus très appréciée, simplification des tâches administratives.
A Lyon, par exemple, la gratuité reviendrait à tirer une croix sur 109 millions d’euros de recettes annuelles. Alors qu’à Aubagne le surcoût de la gratuité n’est estimé qu’à 700 000 euros.
La contribution de la gratuité des transports en commun au rééquilibrage modal
La gratuité seule n’apporte que des effets relatifs sur la fréquentation des TC. Ainsi pour plusieurs villes n’offrant qu’une gratuité à qualité de service identique à la précédente, l’augmentation a été suivie d’une stagnation les années suivantes. L’évolution n’est pas comparable selon que la gratuité s’accompagne ou non de mesures liées au stationnement, au partage de la voirie, à la restructuration de l’offre.
La contribution de la gratuité des transports en commun au rééquilibrage modal paraît en définitive faible. Celle de mesures d’accompagnement de cette gratuité en terme de politique de stationnement et de son contrôle, d’accès au centre-ville ou non par les voitures, de partage de voirie, est beaucoup plus probante qu’elle s’accompagne ou non de la gratuité des transports en commun qui en définitive impacte plus la mobilité que le partage modal.