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Vous trouverez ci-dessous le courrier que j'ai transmis à Alain ANZIANI, Maire de Mérignac à propos de la mobilité et de la circulation automobile. En effet suite aux débats sur la Métropole et dans la presse je souhaite apporter un point de vue, qui s’appuie sur des éléments factuels et précis. Face au retour d’un discours qui tend à remettre en cause le principe de la réduction de la place de la voiture voire à inciter sont utilisation, j’ai souhaité mettre en avant un certain nombre d’arguments qui s’appuient sur l’origine de la cause des difficultés de circulation en Gironde.
Cependant, ce point de vue n'a pas la prétention de convaincre tout le monde mais plutôt d'éclairer aussi « la lanterne de chacun » en le rendant public.
Pour une mobilité intelligente
Courrier daté du 16 janvier
Monsieur le Maire, cher Alain,
Tes interventions récentes notamment dans des conseils de quartiers, en conseil de métropole ou pour les voeux aux personnalités à Mérignac me conduisent à te faire part de mon point de vue et de propositions sur la politique de circulation et de mobilité.
En effet, si le constat sur le mécontentement lié à la congestion automobile insupportable sur la métropole avec des difficultés de stationnement est une constante depuis plusieurs années, tes interventions récentes sur ce sujet visent le plus souvent à mettre en avant systématiquement la nécessité de laisser libre cours à la voiture instrument de « liberté individuelle », de stigmatiser le manque de stationnement partout et le retard de la métropole.
Ces quelques mots ne reflètent pas bien sûr tous tes propos, qui apportent parfois un peu de nuance en déclarant par exemple qu’il faut aussi développer la pratique du vélo ou le covoiturage, mais cela ne constitue pas le cœur du raisonnement.
Aussi, il me semble que la répétition et la forme de ces propos, parfois virulents, ne sont pas pour autant toujours porteurs de solutions à courts ou moyens termes. Même s’ils sont sûrement appréciés par certains ou par des personnes qui se trouvent pénalisées dans leur vie quotidienne (chose que je comprends et qu’il faut bien sûr prendre en compte).
Je fais en partie le même constat sur la congestion automobile, à certaines heures, à certains endroits. Cette congestion sur la rocade et sur d’autres secteurs n’est pas nouvelle, elle prend racine depuis longtemps et le débat est ancien. Si tout le monde est d’accord sur une partie du constat, pour autant il convient de regarder plus finement les différentes causes et d’en tirer les conséquences. Selon le diagnostic, le remède sera différent.
Ce qui arrive aujourd’hui à Bordeaux Métropole et en Gironde, c’est d’abord la crise d’un modèle. Pas celui du manque ou du retard en infrastructure, même s’il y a des projets utiles qui attendent, mais celui d’un développement où l’utilisation de la voiture individuelle est la réponse mobilité quasiment unique.
Si nous continuons sur le même modèle nous serons toujours en retard d’une infrastructure.
Sur ce débat actuel concernant la thrombose automobile, il faut prendre de la hauteur et essayer de comprendre pourquoi nous en sommes-là ? C’est ce modèle de développement qui aujourd’hui crée l’étouffement sur Bordeaux Métropole. Il est bon de se remettre en mémoire quelques chiffres.
Tout d’abord Mérignac n’est pas une ville moyenne, comme Albi par exemple ou une Préfecture d’un département rural avec des difficultés d’appauvrissement de son centre-ville. Mérignac est certes une ville moyenne de 70 mille habitants, mais c’est en même temps la deuxième ville d’une métropole de près de 800 mille habitants. Mérignac n’est pas une ville en périphérie, même si deux quartiers sont au-delà de la rocade, ses quartiers les plus denses, Capeyron, Bourranville, La Glacière ou Arlac naissent dans le prolongement de quartiers de Bordeaux même s’ils ne côtoient pas les Boulevards.
Aussi les difficultés que traversent Mérignac sont dans l’ensemble identiques à celles de la Métropole avec l’aéroport en plus et sa concentration économique.
L’origine de la thrombose est le fruit d’une histoire, celle de 50 ans d’aménagement.
En 1968, la Gironde avait 1 million d’habitants, la ville de Bordeaux en comptait 266 000, soit 26 % de la population. Bordeaux représentait 56% de la population de la CUB (550 000 habitants).
En 1990, la Gironde avait 1,220 millions d’habitants, la ville de Bordeaux, 210 000 soit 17 % de la population de Gironde. Bordeaux ne représentait plus que 33 % de la population de la CUB (624 000 habitants).
En 2014, la Gironde avait 1.5 millions d’habitants, la ville de Bordeaux, 244 000 soit 16 % de la population. Bordeaux représentait 32 % de la population de la CUB (760 000 habitants).
En une cinquantaine d’années, la ville de Bordeaux a perdu en densité par rapport au reste de la CUB et de la Gironde. Ces habitants sont allés à Mérignac, Gradignan, Pessac, etc. mais également vers les cantons périphériques plus éloignés comme Castelnau (+ 13 000 habitants depuis 1982), Créon (+ 25 000 habitants entre 1975 et 2012), et je ne parle pas du Bassin d’Arcachon, du Libournais ou du Blayais.
L'étalement urbain est véritablement un problème. Il y a des causes multiples mais notamment l'envie légitime d’une maison avec jardin et la proximité de l’océan pour ceux qui ont les moyens financiers. A cette attirance il faut ajouter la difficulté de se loger pour moins cher en intra rocade qui repousse de fait de plus en plus loin les candidats propriétaires. Il est donc bien-sûr absolument nécessaire de développer des programmes immobiliers qualitatifs en intra rocade à condition qu’ils soient à des prix abordables.
Ainsi l’étalement urbain a fait son œuvre, avec simultanément deux autres phénomènes : l’absence d’investissement dans le transport des années 60 jusqu’au projet de tramway et la croissance du modèle de la grande distribution (aspirateur à voitures), puisque la Gironde compte 30 % de surfaces commerciales de plus que la moyenne nationale destructeur des commerces de proximité. Il faut ajouter à ce cocktail, l’absence de politique foncière publique.
La situation que nous vivons est d’abord un phénomène physique : nous avons généré un mode de vie où vivre sans voiture est très compliqué, voire impossible dans certaines situations.
La question qui se pose à nous est simple : faut-il continuer dans le même sens, accompagner le phénomène voire l’amplifier ou raisonner différemment en proposant des solutions de mobilités adaptées en remettant par exemple la voiture dans sa zone de pertinence ?
Il faut ajouter à l’étalement urbain, un élément économique positif certes, mais qui vient en quelque sorte aggraver la situation : c’est depuis une dizaine d’années le regain d’attractivité de Bordeaux et de la Gironde, puisque nous gagnons 18 000 habitants chaque année.
Tous ces éléments, qu’ils soient positifs ou négatifs, viennent aggraver les difficultés de mobilité. La formidable réussite du tramway et la rénovation du réseau de transport ont commencé certes à grignoter la prédominance de la voiture puisque nous serions arrivés à moins de 50 % de déplacements en voiture selon l’enquête déplacement allégée de Bordeaux métropole et que nous sommes passés en 8 ans de 90 millions à 150 millions de voyages sur le réseau TBM.
Mais ces succès réels mettent du temps à corriger en profondeur le phénomène de dépendance à l’auto, en raison de l’étalement urbain aggravé par les difficultés des ménages à se loger sur la métropole.
Il faut ajouter à ce diagnostic, la problématique environnementale, qui n’est pas nouvelle certes mais qui aujourd’hui est plus prégnante et s’appuie sur des accords internationaux.
Les transports constituent le principal émetteur de C02, avec 27% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) sans compter les autres nuisances, pollutions et l’insécurité routière.
Mais les engagements internationaux comme l’accord de Paris sur le climat nous obligent dès aujourd’hui à agir aussi sur nos territoires. Il ne suffit pas de s’en féliciter, mais il faut également à notre échelle transposer cet accord et le discours qui va avec en actions locales.
Bien sûr ces enjeux sont parfois loin des préoccupations de certains conseils de quartiers. Mais être élu est un privilège et une chance qui donnent des responsabilités, pour entendre les plaintes justifiées pour certaines, mais aussi pour les dépasser et expliquer les vrais enjeux du long terme qui impliquent des modifications à court terme.
Ainsi, en raison de ce diagnostic, une agglomération comme Bordeaux Métropole ne peut se résigner à voir croître l’utilisation de la voiture à l’aune du rythme d’arrivée de nouveaux habitants ou de sa croissance démographique ou économique.
Comme je le répète à chaque fois, afin d’éviter les faux procès, il ne s’agit pas ici d’interdire la voiture mais de répondre à un problème de capacité globale de l’espace public. Et nous voyons bien, que même avec tous les efforts budgétaires qu’on voudrait, les seuls investissements dans les infrastructures ne suffiraient pas à régler la thrombose actuelle. Encore moins le grand contournement routier, puisque les difficultés sont dues principalement au trafic local même si le transit poids lourds a une influence négative. Une des clés est d’agir sur la modification des comportements liés à la mobilité. Et si la voiture a un avenir, il doit être profondément différent de ce qu’il est.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en avant les projets en cours et de proposer des solutions concrètes qui existent sous un angle positif.
En consultant (http://fichiers.bordeaux-metropole.fr/circulation_comptage/index.html) la cartographie dynamique on observe une baisse du trafic en intra rocade rive gauche un peu partout ce de façon continue sur plusieurs années. La situation est plus délicate en rive droite avec une augmentation du trafic et de la congestion en 2017 du fait d'un débordement de la rocade en raison de l’augmentation du transit et du chargement lié à l'étalement urbain sur la rocade sud. Les nombreux projets en cours permettent d’espérer la poursuite de cette tendance rive gauche et un apaisement rive droite.
En effet l’encombrement de la Rocade devrait trouver une issue d’ici 3 ans avec son bouclage en 3 voies, voire 4 avec la bande d’arrêt d’urgence. Certes, cela prend sûrement trop de temps et on peut regretter que le précédent gouvernement n’ait pas mis les « bouchées doubles » sur ce dossier. Cette mise à 2x3 voies représente une augmentation de 50% de la capacité. L'effet sera très significatif à l'ouest en répartissant mieux le transit entre est et ouest et donc limitera la congestion globale. On peut donc envisager que la nouvelle rocade, par sa fluidité, puisse soulager le trafic pendant un temps.
Pour autant il y a un risque d’effet pervers d’attirer encore plus de voitures, comme cela est souvent le cas. L’enjeu est simple : ne pas augmenter la capacité des pénétrantes pour limiter ainsi l’effet aspirateur à voiture et l'étalement urbain. En revanche il est important d’être innovant, des cars sur la rocade venant de périphérie sont envisageables et des voies réservées sur les axes de pénétration (A10, A62, A63 et RN89) comme cela se fait déjà notamment en région parisienne.
Sur la zone aéroportuaire et de façon plus large sur l’Opération d’Intérêt Métropolitain (OIM) ou l’Aéroparc, ce secteur accuse un déficit de maillage de son réseau de voies anciennes. Il est clair qu’il y a un décalage entre l’arrivée rapide et récente de grandes entreprises et la mise à niveau des équipements. Pour autant, il n’y a pas de blocage mais plutôt des projets (plusieurs dizaines de millions d’euros) en cours à travers l’OIM, qui apporteront rapidement des solutions de fluidité de trafic, on peut l’espérer. Toujours dans le même esprit de nombreux travaux de création et de sécurisation cyclables qui sont programmés permettront d’ici deux ans un report modal important en faveur du vélo à assistance électrique (VAE) compte tenu de l'habitat des salariés (Pessac, Le Haillan, Mérignac, Saint Médard).
Sur ce secteur ouest il ne faut pas négliger aussi l'apport qu'auront les trois grands projets de TCSP qui vont se déployer dans les toutes prochaines années sur le quart nord ouest : la ligne D, le BHNS et l’extension de la ligne A vers l’aéroport ainsi que le bus transversal sur la rocade de la sortie à 12 à la sortie9. On peut là également espérer au vu du succès du Tramway du Médoc sur Blanquefort.
La congestion automobile que l’on observe à certaines heures par exemple sur certains axes de la ville de Mérignac, (comme Verdun, Marne, Magudas, ou la VDO) mais également sur d’autres axes de la Métropole est à mon sens indépendante d’un retard en infrastructure. Prenons l’exemple de la VDO, cet axe d’un peu plus de dix ans, est venu soulager l’avenue Aristide Briand mais pour autant à certaines heures, cette voie récente est saturée. Heureusement, même sur Mérignac, la dernière enquête déplacement déjà citée plus haut révèle une forte baisse de la part Voiture (- 4 points) et une progression de la marche à pied (+1,5 points), du vélo +1 points) et des transports collectifs (+ 2 points), soit +4,5 points pour les modes doux avec une progression plus forte en intra rocade. Il est à noté que le taux de possession de voiture par ménage sur Mérignac intra rocade est de 1.32.
Pour autant la part de la voiture reste cependant à 61 % il convient donc de continuer les efforts pour qu’elle descende en dessous des 50 %.
Pour rappel ces chiffres éloquents, un déplacement sur deux se fait pour une distance inférieure à 3 km et 75 % pour moins de 5 km. Je plaide depuis des années pour mettre en œuvre une mobilité intelligente notamment sur la rocade avec des mesures fortes dans l’ensemble.
C’est pourquoi au nom de ce diagnostic local et du combat climatique il convient en 2018 de porter un discours courageux et responsable qui dépasse l’opinion publique et les mécontentements, fussent–ils légitimes pour certains et de prévenir que l’avenir de la voiture passe par sa moindre utilisation. Même si c’est un instrument de liberté appréciable la voiture occupe trop de place dans l’espace public. Elle conditionne trop la mobilité.
Cela signifie bien que le message que l’on doit porter est celui de la modification des comportements à chaque fois que cela est possible même si cela bouscule les habitudes.
Nous avons là une marge de manœuvre importante. Evidement, le salarié qui habite à 25 km sans TER pourra difficilement modifier son comportement sans amélioration de l’offre de mobilité. Mais l’idée qu’il faut développer, c’est d’abord que ceux qui peuvent faire autrement le fassent afin de libérer de l’espace public, y compris sur la rocade au profit de ceux qui sont dépendants de la voiture.
Nous avons aujourd’hui beaucoup d’outils pour mettre en œuvre une mobilité intelligente.
J’ai déjà diffusé des propositions, qui passent notamment par la mise œuvre de mesures pour :
- réguler le trafic sur la rocade de manière intelligente (covoiturage, interdiction des PL, utilisation positive d’une voie dédiée etc.). Dès 2003 et à chaque débat depuis, j’ai demandé l’interdiction des poids lourds aux heures de pointes et l’utilisation dédiée de la future troisième voie. Je constate que cette proposition est reprise seulement aujourd’hui par beaucoup d’acteurs alors qu’il aurait été beaucoup plus facile de la mettre en œuvre il y a quelques années.
- développer à grande échelle le covoiturage et l'auto partage dans les programmes immobiliers ce qui favorise des économies de surface et des changements de pratiques, il existe des expériences très positives sur notre agglomération.
- promouvoir un grand plan de déplacement des administrations (Bordeaux-Métropole, EN, Conseil régional, Conseil départemental et Etat) avec étalement des horaires de badgeages, (cela pourrait être mis en œuvre aussi à Mérignac) permettant d’arrivée plus tôt ou plus tard et de partir plus tôt ou plus tard afin de favoriser les opportunités de mobilité. Le télétravail à temps partiel pourrait très rapidement franchir un cap avec une pratique française qui se calerait sur ce qui se passe dans les pays du nord.
- promotion forte du vélo à assistance électrique, véritable rupture technologique pour la mobilité périurbaine qui permet de 10 km en mois de 30 minutes.
- poursuivre le développement du tramway et d’un RER girondin,
- promouvoir un réseau de cars Transgironde express avec retours tardifs.
- le stationnement payant sur Bordeaux produit d'énormes effets sur le report modal (18% des personnes en échange avec Bordeaux disent avoir modifié leur mobilité en raison de l'extension du payant).
- des mesures fiscales telles que l'écotaxe apporteraient des ressources nouvelles et un rééquilibrage entre modes (fer et mer).
Ce sont des propositions qui peuvent être mise en œuvre pour certaines assez rapidement et offrir des solutions pour une nouvelle mobilité aux citoyens sans attendre la grande infrastructure utopique qui viendra résoudre tous nos problèmes. Notre collectivité n’a ni les moyens ni les ressources pour offrir autant de places de stationnement qu’il y a de voitures sauf à le faire au détriment d’un espace public apaisé.
Résoudre ces problèmes passe en partie par nous-mêmes. Il y a des projets en cours et aussi des solutions à portée de main. Nous sommes en transition entre un monde basé sur l’exploitation de l’énergie fossile et un nouveau monde qui doit apprendre à s’en passer. Notre modèle n’est pas supportable par la planète, encore moins si tous les habitants de la Chine ou de l’Inde veulent nous imiter. L’appel des 15 mille scientifiques du mois de décembre 2017 sur l’urgence de l’état de la planète nous concerne tous. L’intérêt général dont nous sommes les promoteurs nécessite parfois de porter un discours différent mais positif au-delà de l’opinion publique afin d’agir ici et maintenant car préserver demain est notre responsabilité.
Très cordialement,
Gérard CHAUSSET
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