Soumis par Anonyme le
« Agir sur l’environnement » PAR INGRID MERCKX POLITIS jeudi 26 avril 2007
Chercheur et président de la commission santé des Verts, auteur du « Défi des épidémies modernes », André Cicolella* explique comment sauver la Sécu en réduisant les causes de maladies chroniques.
Votre ouvrage, le Défi des épidémies modernes, s’inscrit dans une logique de pérennisation d’un système de santé solidaire. En quoi la maîtrise comptable et la marche vers la privatisation de l’assurance-maladie constituent, selon vous, une impasse ?
André Cicolella : Cet ouvrage propose des solutions pour sortir de la crise de la Sécu par le haut. Je pars des problèmes de santé actuels : comment y répondre ? En 1945, date de création de la Sécurité sociale, l’objectif était de maintenir un certain niveau de revenu face aux risques de vieillesse, de maladies, d’accidents du travail... Ces critères ne fonctionnent plus aujourd’hui, à l’heure où, par exemple, les indemnités journalières ne représentent plus que 8 % des dépenses. Il faut repenser le système. Mais sans remettre en cause son principe de solidarité, comme le veulent les libéraux. La maîtrise comptable des dépenses et la marche vers la privatisation sont une impasse du point de vue des objectifs de santé : elles augmentent les inégalités en termes d’accès aux soins et à la prévention, et appuient les logiques qui contribuent à l’augmentation des maladies chroniques. Comme celle de l’industrie pharmaceutique, dont l’intérêt n’est pas de lutter contre les causes de maladies mais de faire en sorte que les gens consomment du médicament. Le parfait contre-exemple, ce sont les États-Unis, où le système d’assurance-maladie est privatisé depuis des années. Il coûte plus cher que le nôtre, ne couvre pas toute la population, et les indicateurs sanitaires sont médiocres : les États-Unis arrivent en 37e position dans le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les Pays-Bas viennent pourtant de faire le même choix, optant pour un système forfaitaire comparable à celui d’une assurance automobile.
Notre époque est marquée par des épidémies de maladies chroniques dont les causes sont liées à l’environnement, à la pollution et à de nouveaux modes de vie. Cette réalité est-elle sous-estimée ?
Énormément. La culture de la santé est purement curative en France. Cela n’a pas toujours été le cas. Au XIXe siècle, on savait que les causes infectieuses étaient très liées à des causes environnementales. Les travaux d’adduction d’eau, les égouts et l’amélioration de l’habitat ont joué un rôle déterminant dans le recul de grandes épidémies comme le choléra. Mais, avec le développement des techniques, l’approche sociale et environnementale de la médecine s’est affaiblie. Le modèle selon lequel les solutions viennent des traitements s’y est substitué. Aujourd’hui, en Europe, 86 % des décès et 77 % des maladies sont dus à des affections non transmissibles ¬ maladies cardio-vasculaires, cancers, troubles mentaux, diabète, affections respiratoires ¬ selon l’OMS. Mais on n’arrête pas une épidémie de cancers avec des traitements anticancéreux. La catastrophe de Tchernobyl marque le début d’une mise en cause du scientisme. Et le scandale de l’amiante a permis de réaliser le rôle de l’environnement dans le développement de maladies. Il était temps : les baby-boomers ont été exposés à une série de toxiques, c’est pourquoi je les appelle la « génération cancer ». Mais, si on s’attaque par exemple à faire disparaître les pesticides aujourd’hui, on peut faire baisser le taux de cancer chez les générations suivantes.
Après une première révolution contre les épidémies de maladies infectieuses fin XIXe, vous appelez à une seconde révolution de santé publique aujourd’hui. Quel ordre doit-elle renverser ?
Il faut changer le système de santé en décidant d’agir sur notre environnement au sens large, c’est-à-dire incluant les modes de vie et notre alimentation. On sait ce qu’il faut faire, mais on ne le fait pas. Il faut aussi se préoccuper de notre environnement intérieur, source principale de notre exposition aux toxiques. Portée par le mouvement associatif (dont, principalement, Greenpeace, le WWF, Que choisir ?), la bataille menée sur Reach, réglementation européenne sur les produits chimiques, a déclenché une prise de conscience... Mais nos institutions ne s’attaquent toujours pas au problème. L’industrie chimique fait tout pour masquer le fait qu’elle pollue la planète, et l’industrie pharmaceutique fait croire que « plus de médicaments » correspondent à « plus de santé ». Les médecins sentent bien qu’il faut agir. C’est pourquoi cette deuxième révolution de santé publique doit être aussi une révolution du soin. Il faut réorganiser les réseaux de soins dans une logique de proximité, avec des maisons de santé, afin que les médecins puissent prendre en charge les problèmes de santé d’un territoire.
Vous suggérez de diminuer la demande en diminuant les facteurs de risques. Mais comment évaluer le délai du « retour sur investissement » d’une telle action ?
Certains effets peuvent être assez rapides. Si on démarre aujourd’hui une campagne publicitaire orientée sur l’hygiène, on peut faire reculer la prochaine épidémie de gastro-entérite et son coût économique. Preuve que la publicité fonctionne : le slogan « Les antibiotiques, c’est pas automatique ! » a contribué à améliorer les défenses immunitaires de la population en quelques mois. Avec une politique sérieuse d’éradication des pesticides, on peut réduire dans les cinq ans les cas de leucémie de l’enfant, maladie largement liée à une exposition maternelle à ces produits. Du fait du délai nécessaire à l’élimination des toxiques, certains effets ne seront perceptibles qu’à long terme. Il faudra compter une génération. Idem pour évaluer les bénéfices de changements d’habitudes alimentaires. Le problème, c’est que pour mettre en place des politiques sur l’alimentation, comme réduire la consommation générale de sel, il faut affronter le lobby agroalimentaire... Autre problème : qui croire dans le débat sur le lien supposé entre aspartame et cancer ? L’expertise est un enjeu considérable. On a besoin qu’elle soit fiable et indépendante des intérêts économiques, mais aussi des financements d’État. Il faudrait créer une Haute Autorité d’expertise et d’alerte sur le modèle de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). L’important étant de fournir des expertises contradictoires afin que les citoyens soient éclairés sur les risques qu’ils encourent. Comme dans le débat sur les OGM.
Votre troisième partie, programmatique, propose de refonder le système de soins, la prévention et la démocratie sanitaire. Changer ce système est-il une question d’abord politique ?
C’est une question politique au sens noble du terme. Elle n’a pas été beaucoup évoquée pendant cette campagne présidentielle. Mais un peu plus qu’en 2002, « grâce » à Nicolas Sarkozy, dont l’idée d’instaurer une franchise pour l’assurance-maladie a déclenché un débat qui a commencé à toucher l’opinion. Ségolène Royal a fait des propositions sur la médecine du travail ou les dispensaires. Le jeu est ouvert... Mais j’ai été frappé, lors de mes interventions, de ne pas être traité d’utopiste. Les gens commencent à comprendre qu’il faut rebattre les cartes et ils sont prêts à changer de paradigme. J’ai pu faire des propositions du fait de mon positionnement dans un parti. Ce livre est le résultat de mon expérience, mais aussi d’un travail collectif mené au sein des Verts. La politique devrait surtout consister à donner une perspective à des problèmes de société.
* Le Défi des épidémies modernes. Comment sauver la Sécu en changeant le système de santé, La Découverte, 144 p., 9 euros.
André Cicolella est chercheur en santé environnementale.