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Daniel Cohn-Bendit dans le Monde : "je l'aime trop tout simplement"

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Daniel Cohn-Bendit : « C’est moi qui ferai le discours pour mes funérailles »

Le Monde.fr | 31.01.2016 à 07h37 • Mis à jour le 18.02.2016 à 15h29 | Propos recueillis par Annick Cojean

Il veut continuer à « influencer le débat politique » et rêve du poste de président de la Commission européenne « en cas d’élection au suffrage universel ». Daniel Cohn-Bendit publiera en mars un livre intitulé Et si on arrêtait les conneries. De mai 68 à son souhait d’organiser lui-même ses obsèques : entretien intime.

Je ne serais pas arrivé là si…

… S’il n’y avait pas eu cette fameuse photo de Mai 68 sur laquelle, le sourire ironique et joyeux, je défie un policier casqué. C’est « Till l’espiègle » face au représentant de l’état corseté. L’insouciance de la jeunesse et son appétit de vivre face à l’ordre mortifère. Cette image a fait le tour du monde et me colle à la peau. Et c’est le point de départ de la deuxième partie de ma vie ; celle qui a fait ce que je suis.

Est-ce à dire que cette photo vous oblige ?

Je ne crois pas. Mais elle a tellement circulé qu’elle a suscité quelque chose d’extraordinaire : l’envie d’une foule de gens de me connaître. Comme si j’avais passé un examen et en étais sorti auréolé. Je n’avais pas changé d’un pouce, mais la célébrité faisait que les gens me percevaient soudain différemment. Et plus j’étais moi, plus ça payait !

D’où l’envie, après une pause de quelques années, de reprendre part à la vie politique ?

Bien sûr ! Car ce qui était enivrant, en 68, c’était la sensation de tourner les vis de l’Histoire. Pas d’être sur la roue, embarqué par le mouvement, non ! D’en influencer les événements. J’en ai pris conscience le jour où j’ai reçu un coup de fil de l’Observateur m’annonçant que Sartre voulait m’interviewer. C’est comme si on disait à un catholique que le pape voulait lui parler. Dingue !

Votre expulsion du territoire français, rendu possible par votre nationalité allemande, a dû provoquer une grande frustration.

Vous savez quoi ? Elle m’a sauvé la vie ! Elle m’a évité la déprime post-soixante-huitarde qui a saisi beaucoup de mes camarades français et elle m’a obligé à construire tout de suite quelque chose en Allemagne. Puis je suis tombé amoureux, et il y a eu une autre dynamique. Je me suis ancré dans le mouvement des communautés, j’ai densifié ma personnalité avec les contradictions et bêtises de l’époque. Et je me fichais bien alors de l’identité nationale. J’étais moi, et je ne voyais pas pourquoi on me casserait les pieds en m’obligeant à choisir un camp. Je vivais en Allemagne, mais j’avais été élevé en France dans le football. Et quand l’équipe de France jouait, j’étais à fond pour elle. La France était ma patrie sportive, l’Allemagne ma patrie politique. Bref, j’étais naturellement Européen. Je faisais de l’Europe comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans même le savoir. Et quand s’est posée la question de décider ce que je voulais faire après avoir été adjoint au maire de Francfort, c’est logiquement vers l’Europe que je me suis tourné.

Vous aimez être présenté comme l’incarnation de l’Européen ?

Ça sonne juste, oui. Car c’est mon histoire. Celle d’un enfant dont les parents ont quitté l’Allemagne en 1933, qui est né et a grandi en France, qui a un frère français, et qui, pour ne pas faire plus tard son service militaire, a pris la nationalité allemande à 14 ans. Mais la boucle s’est bouclée cet été. Je roulais sur une route de Floride quand Cazeneuve [le ministre de l’intérieur] m’a téléphoné : « Voilà, je viens de signer, tu es Français ! » C’était drôle, plus de 45 ans après mon expulsion !

Et émouvant ?

Oui ! Ma femme qui conduisait m’a dit : « Eh bien, tu es arrivé au but ! » Et ce but était en effet cette double nationalité. J’en avais marre qu’on me décrive comme le plus Français des Allemands et le plus Allemand des Français. Je voulais qu’on dise : il est les deux.

Cela influence-t-il votre réflexion sur la déchéance de la nationalité réservée aux binationaux ?

Je ne comprends pas pourquoi le duo démoniaque Hollande-Valls se met dans ce pétrin ! Quand ils disent : c’est symbolique. Je réponds : de quoi ? On signifie qu’un Français ne doit pas être terroriste ? Mais c’est évident ! Comme un Français ne doit pas violer. Un Français ne doit pas assassiner… Un symbolisme inutile n’est pas un symbolisme. Et puis quand vous aurez condamné à trente ans un terroriste, que vous l’aurez déchu de sa nationalité et que l’Algérie ou le Maroc ne voudra pas le reprendre, que se passera-t-il ? Vous aurez un déchu en prison. Bien avancé ! Et puis cela montre une incompréhension de la frustration ressentie par les binationaux à qui l’on montre clairement qu’ils sont différents ! Même Devedjian s’en offusque, lui qui a été franco-nationaliste ! La constitution n’est pas faite pour régler des problèmes momentanés.

Vous ne cessez de clamer votre absence d’ambition politique mais vous signez un appel appelant à des primaires de gauche et mettez partout votre grain de sel.

Je veux continuer à influencer le débat politique même si mon parcours est terminé. La seule chose qui m’intéresserait – je l’avoue humblement même si j’ai le melon – c’est le poste de président de la Commission européenne en cas d’élection au suffrage universel. Ça oui ! Si j’arrive encore à marcher à 80 piges, je postulerai et ferai une grande campagne européenne. Car ce serait le summum de l’accélération de la construction européenne.

Ne sommes-nous pas plutôt en phase de régression dans la construction de l’Europe ?

L’Europe va mal. Se construit mal. Se débat dans ses contradictions. Mais tous les problèmes qui surgissent dans nos pays ne trouveront pas de solutions sans l’Europe ! Hollande ne cesse de rabâcher : « La France est un grand pays ! » Non ! La France, c’est 1 % dans le monde d’aujourd’hui. La France a un potentiel qui est décuplé dans une Europe qui fonctionne, mais sinon, ce n’est rien ! Quand les Français veulent bombarder la Syrie, au bout d’une semaine, ils ont besoin des munitions américaines. Il faut arrêter de nous raconter des histoires !

Tous les clignotants sur l’Europe sont pourtant au rouge.

Et les clignotants de la France ? Ils ne sont pas au rouge ? Ce pays angoissé par son chômage, désorienté par l’anémie de son économie, divisé par des débats inutiles ou tristement idéologiques comme celui sur la laïcité. On est menacé par l’islamofascisme et au lieu de réfléchir calmement à la lutte contre les intégrismes, de construire des ponts vers la société musulmane, on s’écharpe et on proclame comme Valls qu’on maintiendra l’Etat d’urgence tant qu’il y aura Daech [l’organisation Etat islamique]. Faut être marteau ! Et ce manichéisme ! Ce clivage droite-gauche auquel chacun s’accroche et qui n’est autre que de la fainéantise intellectuelle. Sur des sujets comme l’écologie, l’Europe, ou les droits de l’homme, c’est totalement dépassé ! Il faut une pensée hybride.

A vous entendre, l’élection de 2017 est bien mal engagée.

Pour le moins ! Je vais sortir en mars un livre intitulé Et si on arrêtait les conneries ou je prône la proportionnelle pour forcer les partis politiques à faire des compromis sur des sujets et trouver des accords gouvernementaux.

Juppé est souvent épargné dans vos interventions.

On se trouve dans une situation tellement folle que c’est la primaire de la droite qui élira le prochain président de la République ! Donc si on me demande ma préférence, je choisis le moins pire : Juppé, lequel ne prétend d’ailleurs qu’à un mandat. Ça calmera temporairement ce pays pour que se reconstitue une gauche, des gauches, une force écologique, bref, une alternative. Le cauchemar absolu serait un deuxième tour Sarko-Le Pen !

Que pensez-vous des événements de Cologne et de ces centaines de plaintes déposées par des jeunes femmes agressées dans la nuit du 31 décembre 2015 ?

Il y a 250 plaintes à la fête de la bière chaque année.

Oui, mais là, il est question d’un millier d’agressions en une nuit !

Disons un millier de plaintes. Et j’attends l’enquête de la police. Car ça reste mystérieux. Voire impossible. Sur les photos et les films, il ne semble pas y avoir un millier de femmes sur les lieux. Cela voudrait donc dire que les agressions auraient eu lieu dans d’autres coins ? Moi je n’en sais rien. Si ce n’est que je n’exclus pas une volonté de manipulation de la part de certains qui voudraient amplifier le phénomène pour inciter à la haine contre les migrants.

Vous insinuez qu’on exagère le phénomène ? Que les plaintes ne sont pas fondées ?

Non ! Je sais qu’il s’est passé un truc abominable et ce que des femmes ont subi est inacceptable. Mais l’histoire de la petite fille russe supposément violée à Berlin par cinq réfugiés et qui s’est avérée inexacte me met la puce à l’oreille et me fait douter. Il y a une telle instrumentalisation de l’affaire Cologne par des mouvements politiques de toutes sortes que je veux rester prudent. Le climat est délétère. Et c’est tragique. Mais faut-il réduire le problème de l’accueil d’un million de réfugiés au drame de Cologne ? Bien sûr que non ! Et pour 10 % de gens horribles et de criminels, il y a 90 % de gens qui se comportent bien. Et il faut se casser la tête pour travailler à leur intégration.

Lors de votre récent dialogue avec Alain Finkelkraut à la télévision, il y a eu un moment surprenant.

Celui où on a parlé Hébreu ?

Oui.

Nous étions en train de dialoguer, et tout d’un coup, je me suis dit : c’est quand même extraordinaire ce moment où deux juifs, à la télévision française, réfléchissent à la façon de se comporter face à l’islam. J’ai trouvé ça très drôle. Et j’ai dû me dire : les gens n’en sont probablement pas conscients, je vais leur faire un signe.

Vous l’avez donc fait à dessein ?

C’est ce qui a dû se passer dans ma tête et je reconnais que c’était un peu provoc.

Où en êtes-vous avec le judaïsme ?

Pour moi, les juifs, c’est la diaspora. Et l’instrumentalisation des juifs d’Europe par Netanyahou qui les appelle à immigrer en Israël m’est insupportable. J’ai longtemps dit : « Je suis juif tant qu’il y aura des antisémites ». Ma femme, qui est goy, me disait : « C’est un peu trop simple Dany. » C’est vrai que je ne peux pas voir des films sur les camps de concentration.

En tant qu’Allemand ?

Non ! En tant que juif ! Car je me dis : je pourrais y être. L’enfant qui sort, les bras levés, du ghetto de Varsovie, est ancré dans ma tête. Et je pense toujours : cela aurait pu être moi. Il se trouve que je suis né plus tard, mais pour moi, être juif, c’est ressentir en permanence le fait qu’à un moment de l’histoire, on aurait voulu m’anéantir. Et de là, découle peut-être une explication de mon engagement politique.

Nombre de victimes juives des attentats en France ont été enterrées en Israël. Cela vous a-t-il effleuré l’esprit ?

Jamais ! Ce n’est pas mon pays ! Moi, je veux que mes cendres soient dispersées entre Francfort, Paris et le petit village de l’Héraut où j’ai une maison. Et je souhaiterais me livrer, lors de mes obsèques, à une réflexion sur moi-même.

Pardon ?

Je sais, c’est fou, et je ne suis pas sûr d’y arriver. Mais c’est mon envie. Je vois très bien la scène. Les gens sont rassemblés, très malheureux – ce sont tous des copains – je leur apparais sur un grand écran. Et je leur parle.

C’est terrible ! Tout le monde écrase une larme…

Justement ! C’est l’enterrement de Marie-France Pisier avec qui j’avais eu une histoire qui m’y a fait penser. Quand elle est morte, son mari m’a téléphoné en disant : « Elle t’aimait beaucoup, on fait une commémoration à l’église des artistes, et j’aimerais que tu parles. » Ce n’est pas du tout mon truc mais je ne pouvais pas me dérober. Le jour J, j’entends le curé affirmer qu’elle est dans les bras de Dieu. Je me dis : Oh, là là ! Que vas-tu dire ? Et je me lance : « Marie-France était athée, alors vous savez, Dieu ne la connaît pas. Mais vous tous qui l’avez aimée, vous la connaissez bien. Et c’est d’elle dont je vais vous parler. Et j’ai raconté comment elle m’a exfiltré de France en Mai 68 à bord de sa décapotable, et d’autres anecdotes, et tout le monde a commencé à rire. On ne doit pas laisser faire n’importe quoi à des funérailles ! Donc ma seule garantie, c’est d’organiser les miennes. Il y aura les Stones, Satisfaction, et mon petit discours.

Un ultime message ?

Peut-être des histoires juives.

« Je ne serais pas arrivé là si… » : retro

 

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