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Un article interessant de Jérome Latta journaliste qui tient un blog sur le sport, et reprend mon point de vue sur les défauts du Grand Stade de Bordeaux et notamment son emplacement en cul de sac.
plus le lien d'un article de la Gazette des communes
8 janvier 2016, paJérôme Latta
Nouveaux stades, la peur du vide
(LES TABLEAUX SONT LISISBLES SUR LE FICHIER PDF OU AVEC LE LIEN)
Samedi 9 janvier, l’inauguration du « Parc olympique lyonnais » va allonger la liste des stades modernes – nouveaux ou rénovés – que le football français appelait si ardemment de ses vœux. Une ardeur qui s’est accompagnée de maintes promesses et assurances que ces outils seraient financés sans douleur, qu’ils permettraient de mettre le football français à niveau, et bien sûr qu’ils attireraient un public suffisant pour les remplir.
S’il est encore tôt pour faire un bilan, les premiers enseignements font courir les plus grands doutes sur l’atteinte de ces objectifs. Le premier est d’ores et déjà invalidé, notamment par le constat (pourtant prévisible) que les partenariats public-privé constituaient non pas la panacée annoncée, mais un piège pour les finances publiques – bien illustré par le sidérant exemple niçois. Quant au public attendu, il se fait encore attendre.
Nouveau stade de Bordeaux – image Herzog & de Meuron
BIEN BÂTIS, MAL REMPLIS
À Lille, Nice et Bordeaux, les nouvelles enceintes déjà en service sont globalement de belles réussites architecturales, mais leurs effets sur la fréquentation sont divers et plutôt décevants [1]. Sur la première moitié de saison, alors que le taux de remplissage global des stades de Ligue 1 est de 70%, les trois nouveaux stades « sous-performent » avec 52,3% pour Nice [2], 60,2% pour Bordeaux et 61,8% pour Lille. L’Allianz Riviera est à moitié vide, le Matmut-Atlantique et le stade Pierre-Mauroy n’atteignent pas les deux-tiers de sièges occupés (lire aussi « Des stades sous vide »).
Également alarmante est la forte érosion de la fréquentation constatée au-delà la première saison : moins 6.000 spectateurs à Nice en 2015/16, alors que le club a réussi une bonne demi-saison en proposant un jeu séduisant ; moins 10.000 à Lille, où le nombre d’abonnés est descendu de 30.500 en 2012/13 à 24.000 en septembre dernier (le LOSC ayant subi, lors deux derniers exercices, des parcours plus médiocres que les précédents). L’effet de nouveauté ne semble donc pas durer et, comme l’on pouvait s’y attendre, en France, seuls des clubs en pleine réussite sportive peuvent prétendre faire durablement le plein – c’est-à-dire pas seulement pour les grosses affiches.
Le LOSC et l’OGC Nice peuvent toujours se prévaloir d’avoir très sensiblement augmenté leurs affluences « brutes ». Mais le problème visuel des grands vides dans les tribunes a sa contrepartie économique, avec la rentabilité problématique des recettes de billetterie mises en regard des redevances d’utilisation et autres nouvelles charges.
DÉCEPTION À BORDEAUX ET MARSEILLE
Le (splendide) nouveau stade des Girondins réussit même l’exploit de faire à peine mieux que le (splendide) stade Chaban-Delmas avec un gain de 1.700 spectateurs en moyenne. Il faut vraiment avoir la foi dans la modernité des « arenas » pour ne pas considérer que le gain de capacité – à hauteur de 7.000 places – aura une utilité autre que ponctuelle [3].
Un constat analogue vaut pour le stade vélodrome de Marseille, complètement transformé avec sa couverture, et qui a aussi augmenté sa jauge de 7.000 sièges. Par rapport à la (belle) saison 2010/11 – la dernière dans l’ancienne configuration, les suivantes ayant été émaillées de travaux qui ont fait varier le nombre de places disponibles –, l’OM est passé de 85% de remplissage à 79% en 2014/15 et 65% cette saison. Pour, respectivement, un faible gain de 2.000 spectateurs, puis une forte perte de 9.000 : à ce jour en 2015/16, les matches accueillent 44.000 visiteurs en moyenne contre 51.000 quatre ans plus tôt…
L’inquiétude est d’autant plus fondée que des affluences dérisoires ont été enregistrées lors d’autres compétitions que le championnat de France : 8.800 spectateurs à Lille pour un 8e de finale de la Coupe de la Ligue contre Laval, 13.640 à Bordeaux pour la réception de Rubin Kazan en Ligue Europa, moins de 10.000 dans cette dernière compétition pour l’OM face à Braga et Groningue.
LOIN DU CŒUR DES VILLES
Au-delà des raisons structurelles qui laissaient craindre le surdimensionnement des nouveaux stades, un autre facteur se concrétise : celui de leur accessibilité. Tous ont en effet remplacé des équipements en lisière des hyper-centres pour faire migrer les spectateurs vers des périphéries où le foncier est moins cher et où il est possible de mener des opérations immobilières, commerciales et urbanistiques. En s’en remettant aux collectivités pour financer les aménagements routiers et les transports en commun.
Le problème est particulièrement sensible à Bordeaux, où le nouveau stade a été édifié « dans un cul-de-sac » selon l’expression de Gérard Chausset, président de la commission transports à la métropole. La capacité du tramway est insuffisante, et il manque au moins une bretelle d’accès pour fluidifier le trafic automobile. Les questions de l’éloignement et de la desserte vont également se poser à Lyon, dont le stade sera desservi par deux lignes de tramway et environné de parking-relais assortis de navettes – un dispositif dont les limites font craindre des congestions, en particulier au retour.
L’attrait des nouveaux équipements peut-il compenser l’éloignement affectif (des anciens stades qui avaient leur épaisseur historique, des centres-villes) et l’éloignement géographique avec ses nouvelles contraintes ? Censées s’inscrire dans un projet de développement urbain, ils courent le risque de devenir des structures hors-sol, pensées pour un spectateur fictif dont on a postulé qu’il se déplacerait plus loin si on lui offrait plus de confort et d’occasions de consommer.
PEU D’EFFET SUR LES AFFLUENCES GLOBALES
Pour les nouveaux stades français, l’épreuve de la réalité a commencé, et elle est déjà rude. Avec 40 à 50% de gradins vides, ils figurent en bas du classement du taux de remplissage : Lille (15e), Bordeaux (17e) et Nice (18e). Les stades agrandis et fortement remaniés de Saint-Étienne (9e avec 69%) et Marseille (11e avec 67%) sont en milieu de tableau.
Certes, tous ces stades figurent dans les neuf premières places au classement des affluences, et la fréquentation ne constitue pas pour les clubs le seul levier de croissance attendu de leurs enceintes nouvelle génération [4]. Mais pour l’heure, celles-ci ne font pas significativement venir de nouveaux spectateurs, ou bien peinent à les conserver. Ils ont peut-être, pour les premiers en service, contribué à la hausse de fréquentation depuis la saison 2012/2013, mais la tendance de la saison en cours est à une baisse prononcée en dépit de l’agrandissement du parc [5].
On est en tout cas loin du bond espéré, le championnat ayant simplement rattrapé les niveaux atteints au milieu des années 2000 (21.000 à 21.500 spectateurs). Ceci malgré l’apport du néo-PSG. Le Parc des Princes, dont la réfection s’est limitée à une mise aux normes, constitue un cas d’espèce : il est passé de 29.000 spectateurs de moyenne en 2010/11 à 47.000 quatre ans plus tard avec un taux de remplissage de 97% cette saison.
ERREUR SUR LE « MODÈLE »
Dans la conception des nouveaux stades, les facteurs sportif et humain ont été considérablement négligés. Les deux sont liés dans l’évidence – constamment occultée – que la base populaire du football dans les villes françaises n’est pas de nature à assurer une fréquentation à la fois suffisante et indépendante des résultats. L’enracinement limité de la culture football en France aurait dû discréditer les références systématiques aux « modèles » allemands et anglais (qui ont pourtant toujours cours chez les experts).
Côté sportif, la réussite économique des stades est directement liée aux performances des équipes : des relégations en division inférieure, comme au Mans ou à Grenoble, produisent des désastres ; des résultats seulement bons n’assurent pas les affluences et la rentabilité espérées. Or, et à plus forte dans une compétition préemptée par le Paris Saint-Germain, il n’y a simplement pas de place pour tout le monde dans le haut du panier. Côté humain, durant la période durant laquelle furent conçues et érigées les nouvelles arènes, les supporters les plus fervents ont été réprimés, privés de droits, de dialogue et de représentation, interdits arbitrairement de stade et de déplacements [6]. Le pari hasardeux de leur substituer une population plus familiale, plus consommatrice et plus nombreuse confirme un grave défaut d’intelligence stratégique au sein du football professionnel.
L’avenir proche rendra son verdict sur ce qui apparaît déjà comme un surdimensionnement général : pour l’heure, les nouveaux stades ont créé plus de sièges vides que de spectateurs. Ce qui ne devrait pas troubler, ce week-end, la célébration unanimement enthousiaste du Parc Olympique lyonnais et de ses 60.000 places.
[1] Les chiffres des autres stades rénovées, outre le Parc des Princes, n’ont pas été présentés : le Stadium de Toulouse est en cours d’aménagement, le stade Geoffroy-Guichard de Saint-Étienne a connu plusieurs configurations durant les travaux, et le stade Félix-Bollaert de Lens héberge un Racing en Ligue 2.
[2] Pour ses statistiques, la Ligue du football professionnel (sur décision du Comité stratégique stades) a demandé aux clubs d’abandonner cette saison la « capacité préfectorale » au profit de la « capacité commerciale » qui correspond aux places effectivement mises en vente (excluant les places sans visibilité, la tribune de presse ou le « no man’s land » qui borde les sections visiteurs, ce qui a pour effet d’améliorer le taux de remplissage). Alors que pour la plupart des stades, la variation a été faible, pour celui de Nice, le chiffre est passé sur le site de la LFP de 35.624 à 27.478. Au club, on explique que le chiffre correct est en réalité 31.008, et on affirme que la LFP a demandé d’exclure aussi du compte la tribune visiteurs – ce que la Ligue dément. Quoi qu’il en soit, on a conservé, pour les données présentées, la jauge initiale de 35.624, tout comme celle du Vélodrome de Marseille (67.354 et non 65.960 comme présenté désormais sur lfp.fr) et du stade Pierre-Mauroy (69.834 et non 69.000).
[3] Le record d’affluence des Girondins a été réalisé face à Liverpool en Ligue Europe, avec 35.328… soit à peine plus que la capacité de l’ancien stade.
[4] Ils comptent énormément sur l’économie des loges pour rentabiliser leur déménagement, ainsi que sur la hausse de toutes les recettes de jour de match (lire « Le football au prix fort pour les spectateurs »).
[5] Dans un sens comme dans l’autre, de nombreux facteurs jouent, comme la taille du public potentiel et la capacité des stades des promus et relégués, les performances des « grosses » équipes et des déterminants plus conjoncturels, comme la résurgence du risque terroriste.
[6] Ce qui ne peut améliorer les chiffres. 174 matches ont fait l’objet d’interdictions de déplacement cette saison (toutes compétitions confondues pour les clubs de L1 et L2), selon le décompte de l’Association nationale des supporters.
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