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Un article sur le co-voiturage dans le journal Le Monde d'Oliver RAZEMON

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co-voiturage à Mérignac
Fichiers joints: 

Le covoiturage de courte distance, enjeu national
Malgré la progression fulgurante du nombre d’adeptes, ce mode de transport demeure très minoritaire.
LE MONDE |

26.04.2018 à 06h36
| Par Olivier Razemon
« Pontoise, un passager. » En cette matinée de la mi-avril, lorsqu’elle a vu, au bord de la route, le panneau lumineux clignoter, Nathalie, qui habite Chars (Val-d’Oise), n’a pas hésité. La conductrice, qui souhaite garder l’anonymat, se rend tous les jours à Pontoise, à une quinzaine de kilomètres, et s’arrête volontiers pour prendre des passagers qui attendent à la borne Covoit’ici, un service de covoiturage en temps réel, située près du lycée professionnel.
Le système Covoit’ici est constitué d’une borne alimentée par un panneau solaire, d’une place de stationnement et d’un panneau lumineux. Lorsqu’un passager se présente à la borne, il confirme son inscription, indique son numéro de téléphone, entre sa destination sur un clavier et paie sa course. La borne délivre alors un ticket sur lequel est inscrit le prix (1,65 euro pour le trajet Chars-Pontoise), qui sera remis au conducteur. L’opération ne prend que quelques minutes et ne nécessite pas de télécharger d’application.
Nathalie est une habituée du covoiturage. A Chars, localité de 2 000 habitants desservie par un seul train par heure, elle dépanne régulièrement des lycéens qui viennent de terminer leurs examens. Elle accepte volontiers les tickets que lui tendent ses passagers. L’automobiliste charge ses filles de récupérer, sur le site de Covoit’ici, les sommes correspondant aux trajets effectués.
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Ecov, la société créée en 2014 qui a développé ce service, a déployé ses bornes dans plusieurs localités du Vexin (Val-d’Oise et Yvelines), dans l’ouest lyonnais, les alentours de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et en Savoie. Comme une bonne dizaine d’autres entreprises, Ecov cherche la martingale du « covoiturage de proximité ».
Le « covoit’», comme on dit, covoiturage de longue distance, est désormais bien connu, grâce au succès phénoménal de Blablacar, qui emmène, chaque année, plusieurs dizaines de millions de personnes dans les voitures des autres. Pour la courte distance, en revanche, c’est plus compliqué. André Broto, directeur de la stratégie et de la prospective chez Vinci Autoroutes, s’interroge sur le potentiel de ce mode de transport. « Un conducteur qui effectue 300 kilomètres avec Blablacar peut être amené à faire un détour pour prendre ses passagers, doit éventuellement les attendre et il faut, ensuite, les déposer à bon port. Ces coûts fixes sont largement compensés par la somme perçue, 20 euros par passager. Mais, pour un trajet de 30 km, le gain est dix fois moins important, et les coûts fixes demeurent identiques. »

Dopé par la grève SNCF
Lorsqu’on observe l’état de la circulation aux heures de pointe, dans les métropoles, mais aussi, de plus en plus, dans les villes moyennes, le covoiturage apparaît comme une réponse évidente à la congestion. En Ile-de-France, selon une enquête de 2010 pour ce qui était alors le Syndicat des transports de la région (aujourd’hui Ile-de-France mobilités), on ne compte que 1,1 personne par voiture lors des déplacements entre le domicile et le travail et 1,3 personne, lorsqu’on prend en compte l’ensemble des trajets.
Lors des Assises de la mobilité, vaste consultation lancée par le gouvernement à l’automne 2017, un groupe de travail consacré au « covoiturage courte distance » a listé les avantages de la formule : baisse de la consommation d’énergie, de la pollution, du bruit, des gaz à effet de serre, limitation de la congestion et, même, de la possession automobile.
Les pouvoirs publics ont compris tout l’intérêt de faire monter non plus une seule, mais deux ou trois personnes dans chaque voiture. A Rennes, l’opérateur des transports publics, la Star, a créé une application ad hoc. A Lille, Hauts-de-France mobilités, qui coordonne les autorités organisatrices des transports, a créé une plate-forme régionale en ligne, afin de mettre en relation les automobilistes et leurs passagers. La Métropole de Lyon, qui dispose aussi de sa plate-forme, a aménagé « 54 aires » et lancé « une incitation au covoiturage sur une trentaine de kilomètres de l’A43 en provenance de Chambéry », explique Karine Dognin-Sauze, vice-présidente (La République en marche) de la métropole.
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A Breuillet (Essonne), tous les matins, les parkings des deux gares du RER C situées sur le territoire de la commune sont pleins. « Les automobilistes prennent leur voiture pour 1,5 km. Puis, ils nous demandent de créer davantage de places de stationnement », indique-t-on à la municipalité. Le maire (Les Républicains, LR), Bernard Sprotti, a récemment conclu un partenariat avec la société Karos pour encourager le « covoiturage domicile-gare ». Les habitants sont invités à s’inscrire sur l’appli et autorisés à profiter des huit places réservées aux covoitureurs.

De nombreux obstacles
En Ile-de-France, qui concentre les deux tiers des trajets quotidiens en train, les enjeux ont été dopés par le lancement de la grève à la SNCF, début avril. La région a institué la gratuité du service pour les voyageurs qui ont recours à l’une des huit plates-formes de covoiturage adoubées par Vianavigo, le site d’information officiel. La présidente (LR) de la région, Valérie Pécresse, a elle-même donné l’exemple en prenant quelques passagers dans sa voiture, un jour d’avril.
La bonne volonté ne suffit pas. Le covoiturage de courte distance connaît une destinée paradoxale. Tous les responsables politiques louent son efficacité, le nombre d’adeptes enregistre une progression fulgurante, mais ce mode de transport demeure ultraminoritaire. Karos « a multiplié par deux » son activité depuis le début de la grève, et « gagne 8 % de voyageurs en plus par semaine depuis deux ans », indique Olivier Binet, son fondateur. Mais Karos ne transporte que « 10 000 personnes par semaine », précise-t-il. Une goutte d’eau dans l’océan des 15,5 millions de trajets en voiture effectués tous les jours dans la région.
Les obstacles au développement de la pratique sont nombreux. Les conducteurs comme leurs passagers ont besoin d’arriver à l’heure, et ils doivent même, ce n’est pas un détail, être certains qu’ils arriveront à l’heure. Un passager a besoin d’une garantie pour le retour, au cas où son conducteur serait indisponible. « [Enfin], on n’a pas forcément envie de partager son habitacle avec la même personne tous les jours », précise Laure Wagner, porte-parole de Blablacar, qui cherche à développer sa marque Blablalines, consacrée au covoiturage de proximité.
« Pour faire entrer le covoiturage de longue distance dans les mœurs, il a fallu dix ans »
Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar
Pour ces raisons, l’immense majorité des trajets en covoiturage s’effectuent entre personnes qui se connaissent déjà. Et cela ajoute encore un défi : les covoitureurs n’ont pas besoin de recourir à des applications spécifiques, lesquelles peinent à recruter des clients…
Les Assises de la mobilité ont été l’occasion d’examiner tous ces enjeux. Gabriel Plassat, ingénieur à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, qui a animé les travaux du groupe de travail, préconise un « élan national pour le covoiturage », une vaste campagne de communication menée par l’Etat, mais aussi les collectivités locales et les employeurs. Le covoiturage pourrait être doté d’avantages fiscaux, telle une indemnité kilométrique récompensant ses adeptes. Pour M. Binet, le prix d’un trajet devrait être « intégré dans le forfait de transport public ».
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Ces mesures, et d’autres, pourraient figurer dans la loi d’orientation sur les mobilités, qui doit être présentée à la fin du printemps en conseil des ministres. Mais la route est longue. « Pour faire entrer le covoiturage de longue distance dans les mœurs, il a fallu dix ans », rappelle Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar.

En Amérique du Nord, des voies d'autoroutes réservées



" On n'incitera pas au covoiturage sans créer, sur les autoroutes, des voies qui lui sont réservées. " Stéphane Beaudet, vice-président (divers droite) de la région Ile-de-France, est catégorique. En Amérique du Nord, sur les axes qui convergent vers Houston, Los Angeles ou Toronto, ce type d'aménagement est fréquent. L'une des voies de l'autoroute, qui en compte souvent six ou huit, est dévolue à un usage spécifique, afin de limiter la congestion.
Cette voie est réservée, selon les cas, aux véhicules transportant au moins deux ou trois personnes, aux bus et taxis, aux voitures hybrides ou aux automobilistes qui acceptent de payer un supplément de péage. L'aménagement fonctionne en permanence ou à certaines heures seulement.
Cette organisation de la voirie porte un nom générique, " managed lanes ", ou " gestion des voies ". En France, les exemples en dehors des villes demeurent limités et n'accueillent souvent que les bus et taxis. Sur l'autoroute A7, à Marseille, le car qui arrive d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) dispose d'un couloir d'autoroute pour lui.
Amendes dissuasives
Dans l'Isère, sur l'A48, entre Voreppe et Grenoble, la bande d'arrêt d'urgence a été transformée en " voie spécialisée partagée ", réservée aux lignes de car. Un système équivalent existe dans l'Essonne, sur l'A10, et à l'entrée sud de Paris, sur l'A6. Mais aucun de ces aménagements n'est pour l'instant ouvert au covoiturage.
Comment s'assurer que seuls les véhicules " pleins " emprunteront effectivement le couloir ? Chacun a son idée. Des radars spéciaux sont inventés pour détecter le nombre de personnes à bord. Karos brandit la " preuve de covoiturage " : les automobilistes devront prouver qu'ils ont eu recours à une plate-forme en ligne. André Broto, directeur de la stratégie chez Vinci Autoroutes, rappelle qu'aux Etats-Unis, " les amendes sont fixées à des niveaux dissuasifs, 200  dollars - 164  euros - , puis 400  dollars en cas de récidive ".
Le problème ne se pose pas sur l'une des rares voies de bus formellement ouvertes au covoiturage en France, à Mérignac (Gironde), dans la banlieue de Bordeaux, qui est empruntée par de nombreux adeptes chaque matin. " La police municipale nous signale que l'aménagement est respecté ", rapporte Gérard Chausset, adjoint (divers gauche) chargé de la mobilité. Il est vrai que la voie concernée ne mesure que 2  km.

 

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