INCINERATEURS. --La pénurie de centres de traitement des
déchets ménagers relance la polémique sur les incinérateurs et
leur toxicité
Indispensables ou dangereux
?
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Déchets ménagers. Face à une quantité de
déchets produits en hausse, les incinérateurs restent
nécessaires PHOTO PASCAL BATS
| Faut-il incinérer les incinérateurs
d'ordures ménagères ? La question n'est pas récente, mais deux
faits nouveaux l'on remise au goût du jour. D'une part, les
pouvoirs publics viennent de s'apercevoir que la capacité des
centres de traitement actuels ne permettait plus de faire face
à l'augmentation de la quantité des déchets produits, ce qui
implique qu'il faudra construire rapidement de nouvelles
unités. D'autre part, plusieurs associations écologistes,
soutenues par une bonne partie de la population, intensifient
la guerre aux incinérateurs, accusés de diffuser dans
l'atmosphère des produits polluants, en particulier la
dioxine. Pour développer leurs arguments, les opposants aux
incinérateurs s'appuient sur plusieurs études prouvant leur
nocivité. En France, l'épidémiologiste Jean-François Viel,
professeur à la faculté de médecine de Besançon, a notamment
démontré que dans cette ville, les habitants proches de
l'incinérateur développaient davantage de cancers que le reste
de la population. Deux chercheurs de l'INSERM (Institut
national de la santé et de la recherche médicale) ont, quant à
eux, relevé que dans la région Rhône-Alpes, sur une période
dix ans, 220 enfants de plus sont nés mal formés après le
démarrage d'incinérateurs de déchets.
Le procès de la dioxine. Cette peur de la pollution conduit à une
situation de blocage. Partout où naît un projet
d'incinérateur, la population se mobilise pour le bloquer. Le
CNIID (Centre national d'informations indépendantes sur les
déchets) envisage même de lancer le procès de la dioxine. Son
avocat, Me Alexandre Faro, accumule les documents. « Mais,
prévient-il, ce procès n'aura rien à voir avec celui de
l'amiante, car nous n'avons pas de victimes directes avérées.
Notre objet est de poser le problème devant les tribunaux en
termes de santé publique, ce qui n'a jamais été fait. Et nous
commençons à avoir des arguments solides pour démontrer la
nocivité des incinérateurs. » Le paradoxe, c'est que cette
offensive intervient au moment où les incinérateurs n'ont
jamais été aussi « propres ». En effet, les études démontrant
leur dangerosité ont pris plusieurs années et portent sur les
incinérateurs de l'ancienne génération qui, depuis, ont été ou
sont en passe d'être mis aux normes. Directeur de recherche au
CNRS, le toxicologue André Picot, qui a longtemps épousé la
cause des écologistes, reconnaît que « dans l'état actuel de
la gestion des déchets, il ne faut pas rejeter l'incinération
». Il ajoute : « La dioxine a déjà fait son mal et on en
supportera sans doute les conséquences pendant plusieurs
années. Ce produit étant bioaccumulable, il reste dans
l'organisme et peut déclencher des maladies vingt ou trente
ans après son ingestion. Mais si les incinérateurs actuels
n'entraînent pas de pollution forte, il ne faut pas être
extrémiste. Il faut seulement être vigilant afin que les
normes soient respectées. »
« Un problème crucial ». Les normes européennes imposent de ne pas
diffuser plus de 0,1 nanogramme de dioxine par mètre cube de
déchets d'ici à 2005. Dans notre région, la moitié des
incinérateurs en fonctionnement respectent cette
réglementation. Donc, la moitié ne la respecte pas encore.
Mais tous ont réduit fortement leurs émissions de dioxine.
L'exemple le plus frappant est l'incinérateur landais de
Benesse-Maremne, qui était en 1998 le plus polluant de France
avec une diffusion de dioxine de 170 nanogramme par mètre cube
et qui, aujourd'hui, n'en émet plus que 0,1. Mais cette mise
aux normes est contrecarrée par la loi du silence qui a
prévalu dans les années 80 et 90 et par l'effet retard de la
dioxine. Les populations concernées par la construction d'un
incinérateur font systématiquement obstruction avec le soutien
des mouvements écologistes et parfois même des élus. Si bien
que pour prendre l'exemple de notre région, trois projets
seulement sont avancés (en Dordogne, en Gironde et dans le
Lot-et-Garonne) et tous sont contestés. L'autre solution, le
centre d'enfouissement technique, n'est guère plus prisée.
Et
pendant ce temps, les déchets s'accumulent. « Si nous ne
construisons pas rapidement de nouvelles installations, un
problème crucial de stockage se posera », assure Alain
Besançon, ingénieur à l'ADEME (Agence de l'environnement et de
la maîtrise de l'énergie). Pour le résoudre, les pouvoirs
publics comptent sur la compréhension des citoyens. Mais
n'est-ce pas leur demander de choisir entre la peste et le
choléra ?
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