ême en temps de sécheresse, l'eau
alimente les polémiques dans le Sud-Ouest. Les
Bordelais découvrent en effet cet été le prix
réel de leur eau potable. Des associations
d'usagers ont déposé hier un recours devant la
cour administrative d'appel de la Gironde, audit
à l'appui, pour demander l'annulation du contrat
liant la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) à
la Lyonnaise des eaux, filiale du groupe Suez.
Depuis treize ans et l'entrée en vigueur du
contrat, celle-ci aurait en effet dégagé des
marges particulièrement importantes, soit 29,3
millions d'euros de plus que prévu, rien que
pour les années 1997-2003. Des chiffres
contestés par la Lyonnaise, mais repris à son
compte par la CUB.
Cela fait plus de dix ans que l'association
Trans'CUB dénonce le contrat signé entre les
deux parties pour trente ans (1992-2021). Elle
clame que le groupe surfacture les coûts de
traitement et d'acheminement de l'eau potable.
Mais en justice, malgré l'appui de l'UFC-Que
choisir et de l'Union des familles laïques, elle
a échoué par deux fois. Déboutée. Toutefois,
lors de la procédure d'appel en mai 2005, le
président de la cour a refusé de tenir compte
des premiers éléments d'un audit commandé par la
CUB sur cette question. Or cet audit, révélé
depuis dans son intégralité, conforte les
analyses de Trans'CUB. Atout non négligeable :
il a aussi été avalisé par le président
socialiste de la communauté urbaine, Alain
Rousset, en place depuis seulement sept
mois.
Trans'CUB a donc déposé hier un mémoire en
rectification de l'arrêt rendu, «basé sur des
erreurs matérielles», selon Patrick Du Fau
de Lamothe, spécialiste de l'eau au sein de
l'association. Il n'est pas sûr que l'audit
suffise à ce que la justice se déjuge et
reconnaisse «l'illégalité des contrats et des
tarifs». Mais il devrait au moins servir de
base d'argumentaire quand la CUB devra
renégocier le contrat en septembre, comme cela
se fait tous les cinq ans.
Gras. Car le rapport est impitoyable.
Réalisé par Finance Consult, il chiffre non
seulement à 29,3 millions d'euros entre 1997 et
2003 le gras perçu par la Lyonnaise des eaux,
mais à 15,6 % la progression du niveau moyen de
résultats avant impôts. «Faux, rétorque
le groupe. Nous n'avons pas connaissance avec
précision de l'audit, mais selon nos calculs le
gras n'est que de 6 millions d'euros et le
niveau moyen de résultat avant impôt de 9,1
%.» Ce qui n'empêche pas l'association
Trans'CUB de se projeter : «A ce rythme, nous
allons sur trente ans à une surfacturation de
150 millions d'euros. Ce sont des montants
énormes.» Par ailleurs, alors que le taux
moyen des emprunts d'Etat est tombé à 4,5 %, le
groupe applique toujours le taux fixé en 1992 de
11,4 % pour les annuités de la dette. Et ce
n'est pas tout. Toujours selon Finance Consult,
la multinationale aurait facturé comme s'ils
étaient neufs des compteurs rachetés d'occasion.
Puis elle aurait comptabilisé des frais de pose
pour des compteurs déjà posés. Elle aurait aussi
basé ses calculs sur une durée de vie de ces
compteurs de quatorze ans (durée de vie que la
Lyonnaise défend toujours) alors que le
renouvellement du parc ne se ferait en réalité
que tous les vingt-trois ans. «Sans compter
que les propriétaires qui ont acheté le compteur
doivent payer les frais de location
d'abonnement», ajoute Trans'CUB.
Autocritique. La renégociation
quinquennale de septembre s'annonce donc
particulièrement tendue. «Le contrat a été
fait pour s'équilibrer dans la durée,
explique Suez. Les marges permettront de
financer de nouveaux investissements, même s'il
y a nécessairement un certain nombre de choses à
remettre à plat, compte tenu de l'évolution des
contraintes réglementaires.» Et un certain
nombre de points qui questionnent. Comment la
CUB a-t-elle ainsi pu se féliciter pendant tant
d'années du bon déroulement des opérations
malgré l'estimation excessive des charges de la
concession ? Alain Rousset concède aujourd'hui
que la CUB doit faire son autocritique. Mais pas
question pour autant de revenir sur le principe
de délégation de service public comme le
réclament certains communistes et certains verts
et de passer à un système régie. La CUB dit
simplement vouloir se servir des
«révélations» de l'audit pour permettre,
entre autres, une baisse du prix de l'eau pour
le consommateur.